Banque Privée : L’industrie de la confiance à la croisée des chemins

Le 6 juin 2016, Rotschild & Co annonçait sa fusion avec la vénérable Banque Martin Maurel sise à Marseille depuis 1825 et spécialisée en Banque Privée et gestion d’actif. Cette opération témoigne des mutations à l’oeuvre dans ce secteur. Depuis la crise bancaire, l’industrie de la banque privée doit en effet faire face à des bouleversements majeurs : un marché compétitif et en pleine mutation ; une forte pression réglementaire ; des nouvelles technologies dont le potentiel est à étudier.

Un marché en pleine mutation

L’industrie de la banque privée est en train de vivre d’importantes transformations :

– Consolidation du marché : accélération des rapprochements, citons par exemple la Banque Pasche avec la Banque Havilland cédée par Crédit Mutuel-CIC, ou encore EFG International avec UBI Banca International au Luxembourg. Nous assistons à un phénomène de consolidation avec pour objectifs :gagner de nouvelles parts de marché, accroitre la qualité du service, cibler les plus grandes fortunes ;

– Influence asiatique : moins impactés par le contexte économique et financier particulièrement instable, de nouveaux acteurs asiatiques apparaissent.

A titre d’exemple, au 1er juin 2016, le Luxembourg comptait une dizaine de banque d’origine chinoise avec un quasi doublement en l’espace d’un an. De nouveaux clients asiatiques apparaissent également au point que les banques privées traditionnelles se mettent à recruter des employés parlant mandarin et cantonais;

– Changement de hub : le centre de gravité est en train de se déplacer de la Suisse, place traditionnelle par excellence, vers les hubs de Singapour et Hong Kong. Certains banquiers évoquent déjà la fin du modèle suisse avec une fuite des capitaux vers l’Asie et une montée en puissance des banques de la région Asie-Pacifique ;

– Evolution de clientèle : les clients plus jeunes et connectés bousculent de plus en plus le fonctionnement historique de la banque privée. En effet, plus informée cette nouvelle génération de client est plus exigeante et présente un taux d’attrition plus élevé.

Une pression réglementaire constante

Face aux crises récentes, les régulateurs ont imposé une série de directives aux banques afin d’accroître la protection des investisseurs et de renforcer les marchés financiers :

– Obligation professionnelle (AML, KYC…)
– Régulation du marché (AIFMD, EMIR…)
– Stabilité financière (Basel III, CRD4, Solvency II…)
– Protection du client (MiFID I/II, UCITS, PRIPS…)

Bien que décalé au 3 janvier 2018 par la Commission Européenne, la mise en application de la directive MiFID II impose un certain nombre de nouvelles exigences qui vont impacter de manière significative le fonctionnement et le modèle économique des banques privées :

– Encadrement de la structure du marché (périmètre de produits couverts étendus, introduction des OTFs, transparence pré et post négociation, nouveau reporting au régulateur…) ;

– Renforcement protection des investisseurs (Revue des «suitability» et «appropriateness» tests à l’entrée en relation, fin des rétro-commissions pour le conseil en investissement indépendant et la gestion sous mandat).

Globalement, le coût de la réglementation dans son ensemble génère une charge de travail jusqu’à 70% du temps selon JP Morgan.

Quelles options stratégiques ?

Face à ces évolutions pouvant remettre en cause la profitabilité, plusieurs options stratégiques s’offrent aux dirigeants de banques privées :

– Stratégie Agressive : rachat de concurrents pour générer des synergies et amortir les coûts ;
– Stratégie Prudente : stratégie centrée essentiellement sur la diminution des coûts ;
– Stratégie Innovante : exploiter les innovations pour construire une offre plus rentable et proposer de nouveaux services.

La stratégie innovante qui consiste à s’appuyer sur les nouvelles technologies semble aujourd’hui la plus convaincante :

– pour offrir à la fois des canaux de distribution alternatifs et moins coûteux ;
– cibler des générations «digital native» ou des entrepreneurs des nouvelles technologies ;
– offrir également des produits tels que le conseil en investissement sur base algorithmique avec des coûts plus faibles.

Pour autant ces avancées ne bouleversent pas le modèle d’affaires. En effet, si on examine les grandes fonctions les impacts les plus importants vont concerner l’entrée en relation, la consultation/communication et le conseil en investissement. La communication sécurisée en ligne est déjà dans les moeurs pour nombre de banques. La mise en relation peut en effet bénéficier des réseaux sociaux ou se faire en ligne, ces nouveaux canaux générant ainsi un flux de clientèle dont le coût d’acquisition est inférieur au coût moyen (1.600 EUR).

On ne saurait pourtant parler ici d’un bouleversement du modèle économique d’une Banque Privée: ces canaux se rajoutent à ceux déjà existants. Le conseil et la gestion de portefeuille bénéficient de l’utilisation d’algorithmes (Robot Advisor) permettant de générer des propositions d’allocations en ligne avec le profil de risque du client. Les Robots Advisor présentent l’avantage d’une tarification avantageuse diminuant ainsi le ticket d’entrée aux services de gestion conseillée. En revanche les impératifs de sécurité des transactions et leur certification deviennent critiques. Les impératifs de sécurité et d’identification posent plus largement la question de l’identité numérique. Toutefois les Banques Privées ont une longueur d’avance s’agissant de l’authentification de leurs clients par la combinaison des outils utilisés : reconnaissance vocale, historique de transactions,
cadre ou événement familial…

D’autres fonctions importantes de la Banque Privée telles que l’ingénierie patrimoniale et la succession ne sont pas directement touchées par la transformation digitale. Elles requièrent des compétences pointues, fiscales, juridiques, financières ainsi qu’une «intimité» avec le client, son contexte familiale et ses besoins à court et long termes qui laissent pour l’heure peu de place à un traitement digitale ou en ligne.

Notre conviction

Notre conviction chez Fairman Consulting est que le véritable bouleversement viendra de la capacité à «monétiser» des fonctions historiques de la banque dans un environnement digital. En effet dans les transformations en cours, la Banque Privée peut
capitaliser sur un atout fondamental qui est sa fonction de coffre-fort (safe guarding). Il ne s’agit pas seulement de coffre-fort physique mais surtout de sa capacité à conserver l’information dans la durée et à garantir la confidentialité.

Dans le monde digital, cette fonction peut se décliner en deux offres de services en accord avec l’ADN du Private Banker :

– la conservation de documents de valeurs dématérialisés : de la même manière que les titres de propriétés physiques étaient conservés dans les coffres on peut imaginer la conservation digitale des documents importants ;
– la protection des données personnelles. Dans un environnement où l’opérateur mobile, le navigateur internet, l’opérateur de carte de paiement collecte, exploite ou commercialise les données sur l’utilisateur, le Private Banker apporte un environnement où la donnée personnelle est «sacrée», où la confidentialité est respectée.

Toutes les sociétés de l’e-commerce le savent, la donnée personnelle a une valeur, en allant un pas plus loin, on peut dire que la protection de cette donnée en a une plus grande encore. A qui d’autre confier cette donnée qu’un acteur dont la confiance est le métier ?

Conclusion

Ainsi face aux bouleversements en cours les Banquiers Privées ne manquent pas d’atouts, toute la question va consister à «monétiser» dans le monde digital des fonctions bancaires historiques reposant sur la confiance. En parodiant le Guépard de Giuseppe Lampedusa, il faut donc «que tout change pour que rien ne change» les innovations digitales étant l’occasion de remettre au coeur des métiers bancaires les fonctions traditionnelles de protection de la valeur et de garanti de la confidentialité.

* Cabinet indépendant de conseil en management établi à Paris, Hong-Kong et Luxembourg, Fairman Consulting se caractérise par sa volonté d’apporter de la valeur en remettant en cause le statu quo. L’innovation et la transformation des contraintes en opportunités sont au coeur de notre approche déclinée auprès des grandes institutions financières.

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